24 septembre 2017

Ouistreham en trompe-l’œil

Tonton Bédouin raconte ...


25 septembre 1962, sort, en avant première à Paris dans la grande salle du T.N.P. au Palais de Chaillot, le film de Darryl Zanuck "Le jour le plus long". Un illustre spectateur, le général de Gaulle himself. Le tournage a commencé plus d'un an auparavant en Corse au mois de mai 1961, les scènes tournées en Normandie l'ont été à partir d'août. Une dizaine de minutes sont consacrées à la libération de Ouistreham par le commando Kieffer.

La une de Paris Match du 29 septembre 1962 dont la photo est ainsi légendée: 
"Le débarquement des alliés en 1944 à Ouistreham, une des scènes du film Le Jour le plus long, dans lequel Darryl Zanuck fait revivre la plus gigantesque opération militaire de tous les temps".

Le tournage du Jour le plus long


L'adaptation cinématographique du best-seller de Cornélius Ryan, The longest dayréserve une plus grande place à notre cité que l'ouvrage lui-même. On murmure que l'Armée, qui a fourni à la Fox pas mal de moyens en hommes et en matériel y serait pour quelque chose, voire de Gaulle lui même qui aurait souhaité que le rôle des Français dans les combats du Jour J soit mis en exergue. Et les Français du Jour J ce sont les hommes des troops 1et 8 du N°4 commando, le fameux commando Kieffer. Le célèbre capitaine de frégate est recruté comme conseiller technique et son rôle dans le film est confié à Christian Marquand, le séduisant partenaire de BB dans Et Dieu créa la femme.

Pour le décor c'est plus compliqué, la côte normande du début des années 60 est en pleine reconstruction et il est difficile de trouver des paysages qui ne portent pas des marques de renaissance. Les plages du Cap Corse ou de l'île de Ré, plus sauvages, sont mises à contribution. Pour Ouistreham, le casino rasé en 1942 est déjà reconstruit dans la forme que l'on connaît actuellement; le quartier du port n'a plus grand chose à voir non plus avec son aspect de 1944. C'est donc Port-en-Bessin qui servira de décor, tout y est ou presque, un bassin, une écluse, un pont, un caractère normand indéniable. Ah il manque un casino, peu importe on en construira un, en bois et plâtre, on y ajoutera un hôtel en s'aidant d'un bâtiment existant voué à la démolition. La Fox ne recule devant rien pas même devant l'anachronisme car le casino de Ouistreham a été rasé en 1942 et il n'en subsiste plus le six juin que les sous-sols transformés en bunker par l'occupant.

Une séquence du film:
 les commandos à l'assaut du casino passent devant l'hôtel Bellevue après avoir traversé l'écluse. 

Si l'ouverture du véritable hôtel Bellevue remonte à l'après-guerre, il existait avant guerre un bar " Belle-vue" tenu par Raoul Malicorne, face au casino, renommé pour ses gaufres et ses huîtres. Il n'avait toutefois pas résisté à l'occupation et à l'évacuation du secteur de la plage. Le bâtiment massif portais, réellement endommagé en 1944, et qui peut faire penser à l'Hôtel de la plage propriété d'Alfred Thomas est l'ancien préventorium, le vieux et bien oublié Hôtel du Nord. Arasé après le tournage il n'en subsiste plus aujourd'hui que le rez de chaussée aménagé en salle des fêtes. Au premier plan, on distingue des obstacles antichars reconstitués dits "dents de dragon". On peut en voir de semblables, eux authentiques, aujourd'hui encore au pied des dunes sur la plage de Riva-Bella.

Un casino de fantaisie


Les décorateurs de la Fox se sont délibérément écartés de la vérité historique puisque le bâtiment reconstruit au pied de la tour Vauban de Port-en-Bessin est inspiré d'une construction balnéaire du XIXème siècle, beaucoup plus dans l'esprit des villas Andry ou Thierry ou bien encore du château Lebas à Colleville qui, lui, servit de repère pour le débarquement du commando.

L'original, oeuvre de l'architecte Duroy construit vers 1930 et démoli en 1942

Le casino en 1944 rasé, on reconnait l'escalier et la rampe d'accès des véhicules. C'est cet ouvrage fortifié dont se rendront maîtres les commandos.

Le casino revu et corrigé par la 20th Century Fox  
(archives Ouest-France)

Et je ne vous parle pas des religieuses en cornette qui s'efforcent, sous la mitraille, de secourir les victimes. La scène a, elle, été totalement inventée par le réalisateur même si on peut y voir un discret hommage local et sans doute volontaire aux Filles de la Charité de Saint Vincent de Paul qui tinrent pendant quelques années les "classes d'asile" destinées aux enfants abandonnés dans le bâtiment du préventorium. Les entorses avec la vérité historique ont, d'ailleurs quelque peu chagriné les vétérans, Maurice Chauvet, un temps conseiller technique quittera le tournage et Gwen-Aël Bolloré, à la sortie du film, s'élévera publiquement contre la "grande fantaisie" du film. On ignore quelle fut la réaction de Kieffer et même s'il assista à la projection car tombé malade en 1962, il décédera en décembre.

Trace de tournage


Si les décors ont rapidement été démontés, il reste, aujourd'hui un témoin muet de l'événement. Une façade peinte, place de la Fontaine à Port-en-Bessin garde pour sans doute quelques années encore le souvenir de l'époque où pour des raisons de cohérence à l'image, un commerce avait du changer de raison sociale.



Sous les lettres à demi effacées "Port-en-Bessin", on devine encore plus estompées celles de "Ouistreham", souvenir de cette année 1961 où le Bazar de Port était devenu celui de Ouistreham...ah ces Américains!


In cauda venenum...


... ça vous aurait manqué reconnaissez le !

Finalement des bâtiments de carton-pâte, un peu virtuels construit façon bunker en bordure de plage pour une histoire un peu arrangée, ça ne vous rappelle rien à Ouistreham ? Un bunker moderne qui cachera aux riverains une partie de l'horizon et qui coûtera une blinde aux Ouistrehamais, un Centre d'interprétation qu'il appelle ça le metteur en scène... Bon, un détail, le Jour le plus long, quoique contestable historiquement, a attiré dans les salles 11 900 000 spectateurs rien qu'en France ! Un succès financier qui a permis à la Fox d'éponger le déficit de son précédent film à grand spectacle, Cléopâtre. On voit mal qui pourra éponger, à part nous, pauvres contribuables, le prévisible déficit financier du projet pharaonique de notre Cléopâtre à nous...

Pour aller plus loin 

(s'agissant du Jour le plus long, pas de Cléopâtre bien sûr!)

Le jour le plus long, Cornélius Ryan, Robert Laffont 1961, maintes fois réédité
Le Débarquement au cinéma, Hors série Ouest-France, 2014
Commando Kieffer, Jean-Charles Stasi, Heimdal, 2014
Paris-Match, 29 septembre 1962

et bien d'autres encore...

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