29 novembre 2015

A toute vapeur entre Caen et Le Havre via Ouistreham

Tonton bédouin raconte ...


A l'heure du club croisières, tonton Bédouin s'est penché sur les transports maritimes de voyageurs au départ de notre cité. Si on vous parle aujourd'hui d'une liaison (en tout bien tout honneur) maritime qui a duré plus d'un siècle, on évoquera dans une autre chronique la transmanche avant Britanny Ferries et même si vous êtes fidèles (eh oui toujours la liaison...) le récit d'un éphémère service de transport par hélicoptère (oui c'est ça histoire de s'envoyer en l'air) et j'en connais un dont la moustache frétillera à l'idée de ces voyages romantiques qu'il aurait pu accomplir avec sa récente conquête.


Caen-Le Havre, quelle galère!


S'il faut aujourd'hui un peu plus d'une heure pour relier les deux villes normandes, il n'en a pas toujours été ainsi. La Seine a longtemps été une frontière naturelle compliquée à franchir entre la Basse Normandie et le nord-ouest de la Haute; pas de pont en aval de Rouen ni de bacs, des routes difficiles et des liaisons ferroviaires quasi inexistantes. Dès 1835 avec l'essor de la navigation à vapeur, une ligne maritime régulière pour marchandises et passagers est créée entre les deux villes normandes avec escale à Ouistreham. Les premiers navires sont à propulsion mixte, voile et vapeur, avec des roues à aube et portent les noms de FuretCygne, ou encore NeustrieManche, Normandie...Mais on les connait mieux sous le nom générique de "bateau du Havre".

Le steamer "l'Hirondelle" de la ligne Le Havre-Caen dans la nouvelle écluse lors de son escale à Ouistreham vers 1910. On distingue parfaitement les deux roues à aube.

Les navires d'un tirant d'eau modeste emprunteront l'Orne jusqu'en 1910, date de la création du barrage de Montalivet interdisant toute navigation jusqu'à Caen. L'embarcadère alors situé quai de Juillet sera transféré quai Vendeuvre et la ligne utilisera désormais le canal de Caen à la mer, l'escale de Ouistreham étant aménagée dans l'écluse. La Compagnie des Paquebots à vapeur, devenue en 1897, Compagnie Normande de Navigation à Vapeur connut de belles heures. Entre 1863 et 1882, 400 000 voyageurs  sont comptabilisés entre Le Havre et Caen; près de 20 000 voyageurs utilisent la ligne annuellement au début du XXème siècle. 


La ligne était aussi très utilisée pour le transport de marchandises, cette carte postale montrant l'embarquements de porcs à Caen en témoigne.

Un steamer nommé "Ouistreham"



Le steamer "Kyle Forth" a été lancé en 1905 et acquis en 1907 par la Compagnie Normande de Navigation à Vapeur qui le rebaptisa "Ouistreham". Le petit navire fut affecté la ligne Caen-Le Havre jusqu'en 1912, date à laquelle il fut revendu à une compagnie de Glasgow. Le navire sombra le 13 mai 1940 au large d'Anglesey au Pays de Galles.

Tout le monde descend


Si l'après Première guerre mondiale reste une période faste pour la ligne, puisqu'en 1930 un trajet dans chaque sens est organisé quotidiennement, la concurrence avec l'automobile et l'autocar est vive surtout après l'ouverture en 1932 du bac du Hode sur la Seine et l'amélioration sensible des liaisons routières. Si bien qu'en 1933, le service devenu déficitaire n'est plus offert que pendant les mois d'été pour se terminer définitivement en 1939 avec la réquisition des deux derniers navires.


Affiche-horaire de 1930: on y apprend notamment que les paquebots s'arrêtent à chaque voyage à Ouistreham pour y débarquer ou y embarquer des voyageurs de ou pour Le Havre. Le trajet coûte 23 francs en première et 15 en seconde (4 francs pour les militaires en tenue). Il faut y ajouter 2 francs pour un chien en laisse, 2 autres francs pour une bicyclette, 4 pour un tandem, 8 pour une moto. Chaque passager peut embarquer 40 kilos de bagages, malle, carton à chapeau ou sac de nuit...(L'INSEE évalue 1 franc de 1930 à 0,54 euro d'aujourd'hui...)

Épilogue tragique


Les deux derniers navires en service, l'Emile Deschamps et l'Adolphe Leprince, des sisters-ships lancés respectivement en 1922 et 1926 furent réquisitionnés en 1939 et reconvertis pour le compte de la Marine nationale en "arraisonneurs-dragueurs" (tiens, tiens, on en revient à notre introduction, mais non! je vous vois venir...pas celle-là!) sous les matricules AD 20 et AD 47. Le premier participa, en 1940, à l'opération Dynamo en embarquant à Dunkerque 500 soldats. Touché par une mine, il coula, il n'y eut que 72 survivants. Le second fut arraisonné par l'occupant à Saint-Malo et sabordé à Cherbourg en 1944.



Le bateau du Havre dans l'écluse de Ouistreham dans les années 30, il s'agit de l'Emile Deschamps ou de l'Adolphe Leprince. Des petits paquebots mixtes construits aux Chantiers de la Loire. 349 tonnes, une jauge nette de 103 tonneaux, leurs deux machines à vapeur les propulsaient à 12 nœuds. 700 passagers, un peu serrés sans doute pouvaient y embarquer. Un buffet était servi à bord.

Régulièrement on reparle d'un projet de liaison Caen-Le Havre par voie maritime, les deux villes n'étant distante par la mer que de moins de 50 kilomètres. Aux dernières nouvelles, c'est l'Agence d'urbanisme du Havre qui est en charge du projet sans doute un peu délaissé... On se souvient de la mésaventure advenue il y a quelques années à certains élus de Caen la mer qui testant cette traversée à bord du "Boëdic", la vedette qui effectuait alors des excursions sur le canal, s'étaient retrouvés bloqués en baie de Seine à la suite d'une avarie de machine...!



Merci à Valéry Lebigot  pour deux des illustrations
A lire avec intérêt    http://bateauduhavre.over-blog.com/