17 août 2015

Pas bédouin mais presque, le cuirassé Courbet

Tonton Bédouin raconte...

Depuis 71 ans, au large d'Hermanville, un géant repose. Par 49°18'6157'' de latitude Nord et 0°17'2107'' de longitude Ouest, très exactement, où il est signalé par une bouée cardinale. Le cuirassé Courbet occupe cette position depuis le 9 juin 1944, 13 heures, date à laquelle il fut sabordé pour servir de brise lames protégeant l'embouchure de l'Orne.



                La bouée cardinale Est indiquant l'emplacement de l'épave
au large d'Hermanville

 

Un bâtiment chargé d'histoire

Mis sur cale à l'arsenal de Brest le 1er septembre 1910, il est lancé le 23 septembre de l'année suivante et entre en service le 19 novembre 1913. Pendant la Première Guerre mondiale, il est basé à Malte et sert de navire amiral pour la flotte française qui assure le blocus du canal d'Otrante afin d'empêcher la flotte austro-hongroise de pénétrer en Méditerranée. Malgré la présence sans cesse renforcée des sous-marins allemands le cuirassé Courbet parvient à couler le croiseur autrichien Zenta en novembre 1914.Le navire et son équipage de 1068 hommes poursuivront le conflit en Méditerranée et dans l'Atlantique. En 1921, il est affecté à Toulon en tant que navire d'entraînement au tir; modernisé en 1923, 1924, 1927 et 1928, il est spécialisé dans la lutte antiaérienne puis transféré à Brest. Les années 30 le voient devenir navire-école spécialisé dans l'enseignement du tir au canon. C'est d'ailleurs sur le Courbet que le célèbre et valeureux Ouistrehamais Léon Gautier, engagé en 1940 comme matelot canonnier, fera ses classes au début du second conflit mondial.


Le cuirassé Courbet à Toulon avant sa modernisation
(photo Marius Bar)

Le Courbet à Portsmouth

Le 25 mai 1940, en pleine débâcle, le Courbet fait route vers Cherbourg puis vers la baie des Veys pour protéger le rembarquement des troupes britanniques et ralentir par pilonnage les colonnes blindées de Rommel qui foncent à travers le Cotentin. Puis avec l'armistice direction Portsmouth, le navire est saisi par la Royal Navy dans le cadre de l'opération Catapult de sinistre mémoire (Mers El Kébir, Dakar...). Il sera ensuite remis aux Forces Navales Françaises Libres et c'est sous l'étendard frappé de la croix de Lorraine qu'il participera à la défense aérienne du port militaire britannique avec cinq avions ennemis abattus à son palmarès. Casernement flottant, un temps annexe de l'Ecole navale, il verra passer, à ce titre, à son bord un certain aspirant Philippe de Gaulle. Il échappera provisoirement à la démolition en étant affecté comme plusieurs autres navires hors d'âge au goosberry de Sword beach pour y être sabordé.

Dernière mission

C'est ainsi que le vénérable bâtiment appareille le 7 juin au petit matin, sous les ordre du capitaine de vaisseau Wietzel secondé par le capitaine de frégate Le Floch, pour les côtes normandes. Pas question d'utiliser ses antiques chaudières depuis longtemps refroidies et encrassées, il est pris en charge  par les remorqueurs Crowler et Samsonia qui, à la vitesse de cinq noeuds lui font traverser la Manche. Avec un équipage réduit à cinquante hommes, sans vapeur pour alimenter les machineries, sans instruments de navigation toute manoeuvre est délicate mais malgré une rupture de remorque, le vénérable navire parviendra à bon port si l'on ose écrire. Et à 13h15, le 9 juin, le commandant, après avoir fait abandonner le navire, pavillon haut, déclenchera les charges explosives qui allaient immobiliser le géant par onze mètres de fond. Le tirant d'eau du cuirassé étant de huit mètres soixante, une grande partie des superstructures émerge et des canonniers britanniques succèdent à l'équipage français afin d'utiliser des pièces d'artillerie légère contre les défenses côtières allemandes. Les vieux canons de 305, contrairement à la légende, n'ont jamais tiré un obus vers les côtes françaises, il n'étaient plus en état de fonctionner depuis longtemps! Mais l'imposante silhouette attira les tirs ennemis y compris jusqu'à la nuit du 16 au 17 août où le bâtiment reçu deux torpilles allemandes qui ne le firent pas bouger d'un pouce...et pour cause! Mais elles causèrent d'importants dégâts à la coque qui finit par casser en deux.



Le Courbet (au fond) vu de la plage vers 1946
(on distingue à droite le fameux mat aux signaux promis à un destin ouistrehamais)

La proie des ferrailleurs

Vendue par les Domaines en 1946, l'épave est livrée aux ferrailleurs. L'initiative du maire d'Hermanville qui avait envisagé un classement au titre des monuments historiques ayant préalablement échoué. On annonce 25 000 tonnes de métal à récupérer dont huit cents tonnes de métaux non ferreux. Une aubaine que saisira la société "La sirène" basée à Ouistreham et créée par des professionnels de la récupération d'épaves, la famille Serra. Il faut toute l'ingéniosité de ces spécialistes pour venir à bout du mastodonte. La ferraille chargée sur des chalands transitera par notre port préféré jusqu'à Caen où pas moins de 1500 wagons l'évacueront vers les hauts fourneaux espagnols. Certaines pièces seront réutilisées telles quelles comme plusieurs chaudières ou bien encore  des vannes qui seront remontées sur le réseau d'eau potable de la ville du Mans. "La sirène" revendra la concession en 1952 à René Legros qui n'en profitera pas longtemps puisqu'il périt en 1955 dans l'explosion du chalutier qui l'emmenait sur l'épave. Deux autres récupérateurs lui succédèrent et l'exploitation de la concession cessa au début des années 1970. Lors de "la marée du siècle" du 27 mars 1967, Tonton Bédouin se souvient avoir vu à marée (très) basse, les vestiges du navire. Aujourd'hui ce qui reste du Courbet n'est plus désormais visible que par les plongeurs; l'épave fait aussi le bonheur des pêcheurs puisqu'elle abrite de jolis bars...entre autres.

Vestiges ouistrehamais

La majeure partie du vieux navire a ainsi disparu,  Si des hublots de laiton ou de grosses galettes de charbon  sont allés décorer quelques salons d'amateurs de plongées, il reste à Ouistreham au moins deux vestiges de taille du l'antique vaisseau. Le télémètre est exposé au musée du Grand Bunker et le mat aux signaux arbore aujourd'hui les pavillons de la Société des Régates de Caen-Ouistreham au port de plaisance.

Le fameux mats aux signaux du cuirassé Courbet aujourd'hui
au port de plaisance de Ouistreham

Aujourd'hui le vieux Courbet est pour toujours à la baille; on espère, nous, l'être pour beaucoup moins longtemps! Avouez que vous attendiez l'allusion gratuite, la voilà! Savourez-la! In cauda venenum, comme disaient les Romains !